Notes d'écriture 2020-2023
Si l'écriture était un personnage
Si l'écriture était un personnage, elle serait humble, généreuse et attentive. Elle se mettrait au service de celles et ceux qui la sollicitent. Alors, elle raconterait en mots, les pensées supposées d’autrui.
Mon amie Marina voulait laisser trace alors qu’une petite communauté rassemblée accompagnait sa sœur, Domitille, au crématorium du Père Lachaise. L’écriture a cheminé à travers les silences chagrins. Et ce texte est né. Il a commencé à voyager, dès sa lecture, une journée d’hiver, dans un cimetière.
Au nom de Marina, sa sœur et des passants que nous sommes.
« Immortelle » dit-elle
La vie est un sanctuaire éphémère ouvert aux vents contraires comme aux brises caressantes, aux bourrasques cassantes comme au souffle porteur. La vie est un sanctuaire éphémère . On y pénètre, ressort, retourne empruntant tour à tour l’un et l’autre des deux porches, celui de la passion et celui de l’indolence, celui de la souffrance et celui de l’allégresse, celui du désenchantement et celui de l’ivresse, celui de la volupté et celui de l’ascèse, celui de la lâcheté et celui du courage, celui de la foule et celui de la solitude, et enfin, le porche de la clameur et le porche du silence.
A chaque instant, sur le chemin qui conduit à l’agora humaine, chacun sème des graines de vanités et de valeurs à l’image de son âme. Le dialogue intime que chacun poursuit au fil de sa courte existence raconte le combat intérieur et témoigne de nos errances. L’exemplarité est un leurre, sans doute une quête. Lorsque vient l’instant de quitter la place publique et de s’effacer, seules restent les graines laissées. Aux survivants revient d’oublier les semences de notre part d’ombre et d’arroser généreusement celles de nos victoires et de notre grâce. De Domitille, chacun a en soi, son chapelet de souvenirs. Chacun pourrait égrener des mots qui dessineraient, ensemble, un tableau traversant les ans et les siècles. Il dresserait le portrait fidèle de celle qui s’est aujourd’hui retirée. Aux survivants, à chacun d’entre nous, revient l’engagement d’amour : s’attacher à nourrir les arbustes de ses graines fertiles, rendant ainsi, Domitille, immortelle.
ailleurs
Souvent, j’entends : « Tu es ailleurs. » Mais au fond, les plus loquaces s’accommodent de mes silences et moi, de leur éloquence. Dans ces moments, je me dédouble. Je suis pleinement avec eux et tout autant dans un autre monde. Celles et ceux qui me connaissent, s’aventurent, hésitant : « Tu es en écriture ? » Et enfin, les intimes, d’ajouter : « Dans ta tête ? » Au commencement, il y a le désir, la nécessité ou la réponse à une demande d’écrire un texte.
itinérance
Ce n’est pas l’appel du large, mais celui d’un horizon imaginaire. Le sujet, les idées, les images qui deviennent des mots, des phrases, sont des compagnons de cheminement. Ils surgissent parfois sans s’annoncer dans l’aventure de la construction du texte. Parfois, ce sont de faux-amis. Il faut alors les laisser en chemin, au risque de se retrouver dans une impasse de création. Ces temps de dialogue, d'errements sont des moments précieux du voyage. Ils permettent de tisser une intimité très particulière, sorte de préambule de l’écriture. Lorsqu’une idée vient à moi ou un simple mot, je commence à tirer un infime fil d'Ariane. Je peux aussi me trouver dans des situations du quotidien, en cuisine, perdue dans l’observation du feu de cheminée, regarder la neige tomber, sortir faire des courses, écouter quelqu'un…
Rien ne change au déroulement de l’itinérance intérieure.
Lorsque commence l'écriture sur la page blanche, c'est la fin de cette intimité et le début d'un autre voyage, moins aérien, plus cadré, plus ancré. Le texte partagé est la forme tangible de l'exploration.
fragments, errances
L’enfantement de personnages est à la source du roman. Ils sont les prétextes incontournables des situations, des époques, des fragments de l’histoire collective en invitant le lecteur à suivre les errances de l’histoire individuelle de chacun. Alors, l’universalité advient au coeur de l'apparente banalité de la narration.
nommer, pour faire vivre
Aux premières heures de l’enfantement d’un livre, plusieurs questions se posent. Celle des prénoms et des noms est majeure. J’ai parfois écrit des pages en n’osant pas nommer. Certains de mes personnages étaient « il » et « elle ». Certains ont conservé l’anonymat.
D’autres ont adopté un prénom dans l'urgence des premières heures de l’écriture, afin que leur présence s’impose. Ces prénoms temporaires, bien que choisis par défaut parmi des centaines de milliers, m’ont permis de croire dans l’histoire en construction et de dessiner les contours plus clairs que ceux de des personnages affublés d’un prénom personnel. J’ai ainsi avancé sur le chemin d’écriture, hésitante, avec des prénoms dont je n'étais qu'en partie convaincue. Au fil de notre cheminement commun, certains de mes personnages se sont détachés de leur appellation première. Un étrange dialogue s’est instauré, chacun, auteure et personnage, s'interrogeant sur l’identité de ces prénoms balbutiants. « Est-ce que j’habite pleinement le prénom que je porte ? » semblent-ils dire. Un prénom est un monde en soi. Il donne des indications sur les origines du personnage. Son étymologie, son évolution à travers l’histoire lui donnent une place particulière. Enfin, son accent est riche d'informations sur la personnalité. Tous ces éléments nourrissent l’imaginaire et permettent à chacun, embarqué dans l’aventure du récit, de dresser un portrait des destins qu’il /elle accompagne au fil de sa lecture. Par exemple, un prénom avec des consonnes explosives comme des dentales, ne donne pas les mêmes indications que des consonnes fricatives qui semblent susurrer à l’oreille. Chaque détail compte. Au début de l’écriture, je n’ai pas toujours toutes les réponses. Ainsi, dans le premier opus de la trilogie, le doute sur certains prénoms m'a conduit a les débaptiser pour les rebaptiser. Les prénoms choisis se sont imposés parallèlement à la prise d’autonomie de mes protagonistes. Alors, ils se sont définitivement révélés à eux-mêmes.
l'écriture est un pays
L'écriture peut être une respiration solitaire, ou accompagner les pensées des autres aux services desquels mes mots ont eu le bonheur d'exister, elle fut, dès son entrée dans ma vie, une absolue nécessité. elle nait dans le silence et la solitude, peuplée des mondes vus et devinés sublimés par mon imaginaire.
J'écris souvent dans l'ombre de l'ombre.
Mais écrit-on pour l'ombre? Non. Je nourris l'utopie secrète d'écrire aussi pour être lue, maintenant, demain, dans des siècles. Que la trace laissée soit reconnue, même par un seul être. Celui dont le passeport serait riche de tous les visas pour se laisser entraîner dans des horizons sans limite.
Une lectrice m'interroge sur ce que signifie pour moi "entrer en écriture". Chacune, chacun accède à l'écriture par des chemins qui lui sont propres et qu'il appartient à chacune et chacun de découvrir. Ce que je peux esquisser ne peut faire modèle. Je peux simplement dire ceci : parfois je disparais en moi-même, en même temps que je renais à moi-même lorsque l'écriture me prend par la main et m'entraîne : alors je ne fais que la suivre, sans aucun doute, sans retenue. A ce moment l'écriture et moi sommes amies.
Parfois au contraire l'écriture se refuse à moi, elle se retient et me tient à distance, me met à l'épreuve, au défit, elle exige et donne peu. A cet instant, le doute me submerge et je dois trouver ailleurs une raison de répit.
Parfois l'écriture est "empêchée" dans sa progression et je suis alors comme un animal entravé par de trop lourdes chaînes : je devine alors qu'une ou des présences de ma vie réelle, généralement de mes vies passées tentent de me détourner de mon chemin de résistance solitaire, celui de l'écriture.
Toutes ces manières d'écrire sont des mondes qui m'appellent, et me permettent de puiser et forger la volonté d'avancer plus avant.
Mot après mot, page après page, monde après monde.
disparaître, renaître
Dans l'ouvrage certains personnages utilisent les lectures comme si les livres lus pouvaient penser et parler à leur place. D'autres écrivent des carnets intimes, des correspondances abondantes avec des tiers lointains.
Parfois ceux qui écrivent, le font pour avoir le sentiment d'être "rattachés au monde", d'autres pour se parler à eux-mêmes, en essayant, par les mots de mieux se comprendre. Ils invitent les mots, les phrases, la trame, le récit, au service d'une pensée qu'ils déclinent à leur rythme, à leur manière.
La parole est d'une autre nature : lorsqu'un des personnages s'adresse à un autre en utilisant des références acquises par la lecture, il pense ne pas avoir en lui-même "les mots pour le dire", comme si à cet endroit le personnage ne se sentait pas suffisamment légitime pour connaître et affirmer sa propre pensée. On verra ainsi dans l'ouvrage que si la littérature est omniprésente, sa présence revêt des significations aussi diversifiées que le sont nos songes, nos terreurs, nos espoirs, nos fulgurances, nos fragilités.
On verra également que la narratrice, par délégation de l'auteure, se refuse aux jugements. Son écriture ne se propose ni comme acquiescement ni comme mise en question, ni comme enseignement, ni comme perspective.
mille chemins et mille détours
Auteure, je tente d'exposer ce que je sens, ce que je pressens, ce que j'observe du déploiement des chemins de chacune et chacun dans l'instabilité du monde.
Et je remercie mes personnages de se prêter à cette ascèse en se préparant eux aussi à la rencontre prochaine avec des lectrices et lecteurs.
Dans le premier tome de la trilogie les personnages ont des rapports singuliers à la littérature.
L'un d'entre eux, est un érudit, qui a lu tous les livres de sa grande bibliothèque, les a étudié, approfondi; il est entré en conversation avec chacun d'eux alors que son quotidien est aux antipodes de la littérature. Un autre, au motif de se rapprocher du premier s'adosse à un certain nombre de références, peut-être pour être perçu comme brillant, en quête de reconnaissance? Une autre, pour se rapprocher du second, acquiert des livres secrètement, pour l'éblouir de ses citations, de ses références. D'autres personnages, qui semblent dénués de culture livresque, sont en eux-mêmes des héros de légende. Ils sont alors les garants du potentiel épique d'un récit mis en scène par l'auteure.
La narratrice comme l'auteure voient en ces personnages des "coeurs purs" dont la connaissance vient du noyau même de leur expérience du monde.
Cette expérience, ce vécu, vaut bibliothèque universelle pour la connaissance des âmes, des hommes, des beautés comme des tourments et cela depuis très, très longtemps.
l'auteure et ses personnages
Enfant, mes frères me semblaient toujours plus légitimes que moi à accéder aux livres et à la lecture, à les commenter, à faire état de leurs aventures livresques. Ils savaient en parler et me paraissaient aussi passionnants que passionnés. J'ai donc commencé à lire des livres et à écrire mes premières histoires à l'âge de 11 ans : ce fut une décision personnelle, presque clandestine, qui survint simultanément avec mon entrée dans la féminité.
Je suis devenue simultanément femme et auteure en devenir. Double singularité difficile à incarner dans un monde pensé par les hommes et pour eux. J'ai fait des rencontres, toutes décisives, que j'ai intériorisées, seule, à la fois comme femme et comme auteure alors même que mon apprentissage de la vie ne faisait que débuter. Lire des livres me donnait l'autorisation d'entrer dans d'autres mondes.
Aujourd'hui, lorsque j'entre dans une librairie, je suis saisie par le même émerveillement qu'à 11 ans lorsque je déambulais seule au milieu des ouvrages serrés sur les étagères des murs. Chez moi, les étagères chargées de livres sont des mondes à ma portée. J'acquiers des livres que je lis longtemps après, je sais qu'ils sont là, près de moi, avec moi. Mon rapport à la lecture est celui d'un être qui naît à lui même par la lecture, en secret.
Chaque première page, parfois la deuxième, est noircie de commentaires au crayon que je prends soin d'écrire dès que je ferme le livre, comme s'il fallait laisser une trace de notre voyage commun, le livre et moi.
Et, alors même que je ne sais pas vraiment parler de tous ces livres lus, je sais qu'ils sont là en moi lorsque j'écris le roman. Les personnages en sont nourris. Et pour eux, comme pour moi, une vie sans livres serait comme une vie sans monde. Comme une vie sèche.
lire, encore et encore
J'ai vu beaucoup de films dans une autre vie mais je pourrais me passer du cinéma alors que je ne saurais me passer de la littérature. Je me suis fait naître, seule, absolument seule, avec les livres. Et dans mon livre, si les personnages ont tous un rapport différent à la littérature, elle est présente partout, comme si elle seule permettait d'explorer et d'éclairer un peu toutes les strates des matières de l'âme humaine.
L'auteure doit mettre une distance nécessaire et salutaire pour ne pas se laisser happer par la narratrice, ni par l'un ou l'autre des personnages.
Je me souviens d'un moment précis nous faisions quelques lectures à haute voix, j'ai lu un passage sur un personnage secondaire créé de toute pièce. Pour je ne sais quelle raison, une grande émotion nous a saisi, et quelqu'un a dit : "c'est de toi dont tu parles aussi".
Le travail d'écriture, peut être sujet de terreur pour l'auteure, comme de plonger dans l'eau, ce que j'adore faire pourtant. J'aime entrer dans un autre monde, rester sous l'eau longtemps. J'ai aussi un grand bonheur à remonter à la surface, sortir de la caresse de l'eau, mais plus encore, sortir de la bulle de l'eau, de la peur du fond, de ce que tu peux découvrir dans un monde sous-marin, sous la mer.
Lorsque je remonte à la surface, reprenant de l'air, je ressens le salut, une renaissance que je m'octroie, que je m'inflige, m'arrachant à l'autre monde. Je crois qu'il faut aller sans hésiter jusqu'au fond, et aussi trouver la force de se protéger, pour ne pas se laisser aspirer par les profondeurs.
débâtir, rebâtir
Débâtir n'est pas forcément détruire ce qui fût. Rebâtir n'est pas forcément construire ce qui n'a pas été.
Pénélope est la déesse, d'apparence discrète, gardienne de l'origine du monde.
Ulysse est un conquérant de nouveaux mondes qui cherchent à naître. Porté par la curiosité, l'appétit de conquête, l'insatisfaction de son être, sa quête de toujours plus de pouvoir.
Pénélope veille sur ce qui fut. Elle attend, assaillie par de petits conquérants arrogants et impuissants, qui ébranlent par à coup, l'apparent immuable. Elle use d'un seul stratagème : débâtir et rebâtir une œuvre pour conserver la permanence du goût des origines.
Ulysse revient. La crainte de la perte de l'origine du monde s'éloigne. Tout recommence? Non.
Ulysse conquérant ayant œuvré pour le déséquilibre et le débâtissement et Pénélope débâtisseuse et rebâtisseuse, ne sont plus les mêmes. Leurs visions sont autres, nourries en leur absence, de leurs errances comme de leurs quêtes. Etrangers à eux-mêmes, mutants, créateurs, disponibles, enfin.
Ensemble, ils se mettent à l'ouvrage, ils réinventent d'autres équilibres, des futurs ondoyants, de nouvelles origines. Ils écrivent l'histoire d'un rebâtissement.
envers et contre tout
Je connaissais une vieille dame, juive, remarquable, qui fut récupérée et sauvée par une famille catholique pendant la guerre. Au cours de sa vie, elle a initié avec une association l'installation des plaques sur les façades des écoles parisiennes rappelant le nombre d'enfants de telle ou telle école déportés dans les camps. Elle a eu une très belle mort : son cœur s'est arrêté de battre alors qu'elle nageait dans la mer. Quelle mort magnifique. Elle n'a pas été happée par les fonds marins. Elle est morte entre ciel et mer. Le plus étrange, c'est son désir de se faire incinérer, envers et contre tout. Ce qui fut fait grâce à une femme rabbin.
la narratrice
Je dois laisser une distance entre la narratrice et les personnages, pour qu'ils restent dans le livre, là ou ils sont, là où ils sont vrais et en vie, c'est à dire dans le livre et non dans ma vie. La narratrice a une autre terreur, à supposer que le mot terreur soit juste, elle a un regard extérieur à la situation et aux personnages, en revanche elle est un personnage à part entière, l'auteure lui laisse regarder les personnages et traduire par sa vision de narratrice ce qu'il advient et qu'elle enseigne alors à l'auteure et aux lecteurs.
La narratrice garde toujours cette distance qui lui permet de ne pas pas laisser émerger trop d'empathie pour l'un ou l'autre des personnages, ou trop de mièvrerie, ou trop de dureté, laissant ainsi laisser les personnages "vivre leur vie" hésiter, revenir, trébucher, grandir, se perdre. Dans mon travail d'écriture, même si cela reste, pour l'essentiel, inconscient, la narratrice ne devrait jamais être complaisante, ni juge. La terreur, l'écueil plutôt, pour les personnages serait de s'interdire de se donner encore plus de liberté, par l'imaginaire, s'affranchissant des faits du réel supposé auxquels ils doivent éviter de s'inféoder et de s'enchainer.
séisme, explosion, chaos
Si je devais poser des mots sur chacun des tomes, ce serait séisme, explosion et chaos.
La première période raconte l'annonce d'un séisme engendré par le choc de deux plaques tectoniques : le sol bouge, la terre se craquelle. J'en ai été témoin au moment du tremblement de terre d'Istanbul. Nous étions arrivés la veille dans le Cappadoce, la terre a tremblé dans la nuit ensevelissant 17000 personnes. Reza a alors été appelé pour faire un sujet sur la faille anatolienne. Nous sommes partis sur les lieux de la catastrophe où j'ai passé mon temps à prendre des notes visuelles de traces de vies dans les ruines.
Le premier roman raconte, en écho à des déséquilibres sociétaux ici ou là dans l'organisation du monde, les mouvements tectoniques qui affectent mes personnages à partir des "traces" que j'observe; je décris les manières qu'ils ont d'affronter le séisme. Certains s'en relèvent et d'autres sombrent, comme toujours depuis le début des temps.
Le deuxième tome racontera une explosion : ce que l'on avait pressenti des déséquilibres en cours se précisent. Des guerres ravagent, des empires s'effondrent redistribuant les cartes d'un nouvel ordre mondial, des dogmatismes religieux font l'assaut des libertés, des idéologies économiques enfantent des crises, le virtuel s'immisce dans les vies. Les personnages sont aux prises directes avec ces explosions.
La troisième partie traitera du chaos qui affecte l'ensemble des composantes de la planète. La conclusion ouvrira la possibilité d'un rebâtissement global.
voyage
Je donne vie, puis façonne des personnages, non pas comme ils sont supposés être dans la vie réelle mais pour qu'ils servent la trame de mon récit.
Chemin faisant, écriture faisant, ils me conduisent vers des univers, des situations nouvelles.
Dans ce dialogue entre moi auteure et mes personnages s'ouvre une liberté dans laquelle je fais un bout de route avec des êtres fictifs nés (un peu) de personnages réels croisés ici ou là et (beaucoup) de mon imagination. Finalement je passe de grands moments de ma vie réelle avec ces personnages imaginaires, je voyage avec eux. Je les invente autant que je les rencontre. Ils m'embarquent avec eux.
silences
Je passe ma vie souvent dans le silence et toujours dans l'observation. Tout, du monde extérieur m'intéresse. J'ai des antennes sensibles. Elles me permettent de comprendre les êtres, les âmes, les corps, les situations. Certains appellent cela de l'intuition.
Lorsque j'ai commencé l'écriture de ma première nouvelle je me suis mise dans "la peau" d'un mouton qui allait être sacrifié pour l'Aîd.
Pour ma seconde nouvelle j'ai donné vie à une statue dans un musée qui se racontait dans un monologue.
30 ans plus tard, après avoir "personnifié" les images de Reza j'ai décidé de créer mes propres personnages. Ils s'enrichissent de jour en jour de mes expériences, de mes observations, de mes plongées dans l'âme humaine.
Dans "une part d'ombre", nous sommes nombreux, la narratrice, les personnages et moi. La narratrice n'est pas l'auteure, elle est aussi un personnage auquel je dois également veiller, comme les personnages secondaires aussi importants que les personnages principaux : ils ouvrent d'autres univers, d'autres perspectives et invitent à d'autres libertés.
courrier
Une amie lectrice m'envoie ce message :
Bonsoir Rachel ! J’ai été heureuse de découvrir l’existence de tes récits. Je suis curieuse de découvrir le parcours des différents protagonistes. Et j’aime l’idée d’avoir présenté ça sous forme de trilogie. Cela attise la curiosité avec la joie de savoir qu’il existe une suite quelque part. Et puis, la chronologie aussi est intéressante. Le contexte actuel nous amène à voir l’incertitude de l’avenir qui peut aussi être vue comme une chaleureuse invitation à regarder le présent.
Le regarder, le vivre et choisir de bâtir notre propre vision de ce qu’est la beauté en composant avec son contraire.
On avance de manière inconsciente en contribuant à plus d’espoir selon le regard que l’on porte sur soi, donc sur le monde.
Je renoue depuis peu avec l’écriture et c’est comme si quelqu’un venait murmurer des mots à mon oreille dont j’avais oublié ou ignoré l’existence en moi. Et quel exaltant moment !
Lire un récit comme le tient, me fait voyager vers une aire que l’on ne connaîtra peut être jamais, libère et enrichie ma créativité du présent. Comme si l’ultime moyen de ne pas se laisser happer par l’agitation actuelle était d’avoir foi en ce que El Hay (un des noms de Dieu en arabe, « Le Vivant » ) a déjà créé. Comme s’il ne demeure que l’amour, la joie et l’envie d’espérer le meilleur, encore et encore, quoi qu’il puisse advenir. Voilà ce que m’évoque le titre de ton œuvre. Anissa
mon pays, encore
Lorsque le moment vient de m'autoriser le retrait qu'impose l'écriture, je dis souvent : "je pars rejoindre mon "pays d'écriture". C'est une terre de silences que je foule loin de l'agitation de mes autres mondes.
C'est le sommet d'un mont de lenteur sur les flancs duquel seul résonne mon souffle intérieur.
C'est une clairière lumineuse pour mon esprit après les traversées de forêts denses et sombres.
C'est un océan de vagues ravageuses, une mer immobile, à l'enfoncement dans l'imaginaire.
C'est la volupté matricielle d'un hamam à l'enfantement des récits.
C'est l'errance chagrine et survivante des mots dans les ruines abandonnées par les âmes qui ont renoncé.
C'est un désert de solitudes peuplé de mes personnages. C'est une route que nous partageons au milieu de décors et d'histoires que j'invite autant qu'elles me conduisent. Ce pays d'écriture existe mais il ne se réduit pas, ni à un pays réel, ni à un lieu particulier, ni à des êtres concrets. C'est un voyage dans un espace / temps sans bords, sans frontières, sans raisons, et sans autre contrainte que celle d'éprouver la liberté d'écrire. A cet endroit alors, et seulement là, j'accède à une forme de plénitude entière.
Je mets la littérature au-dessus du réel, alors même que mes personnages et mes récits racontent le réel, servi par une langue qui lui rend grâce, loin de toute trivialité. Quand je dis que "ma vie ne m'intéresse pas" je dis que le récit factuel d'une existence n'a aucun intérêt en tant que tel. Ce sont les vibrations de l'imaginaire et de la littérature qui donnent souffle à l'existence.
ami
Extrait d'une conversation sur la littérature avec un ami, PB, il dit : L'auteur
d'un roman est à la fois le mousse, le matelot, l'équipage, le capitaine, la cargaison et l'armateur.
amie
M., une amie me dit on ne demande jamais à un auteur de polar s'il a réellement commis tous les crimes qu'il raconte. Je ne saurais mieux dire!
s'éloigner, se rapprocher
Discussion nocturne avec une amie, auteure comme moi, au sujet des conditions nécessaires au travail d'écriture. Elle me disait comment les multiples empêchements que la vie sociale et la vie de famille lui imposent, au quotidien, des ruptures de sa concentration, de ses recherches sur son écriture en cours et combien il est difficile pour elle de se consacrer comme il conviendrait à son travail de création. Nous avons longuement conversé sur le sujet. Chaque auteure finit par trouver sa propre solution. Parfois l'isolement est une condition indispensable. Il peut parfois durer plusieurs semaines. Parfois au contraire, certaines préfèrent s'abandonner au tohu-bohu d'une terrasse de café, lorsque le confinement l'autorise.
L'écriture est une conversation de soi à soi qui implique une forme d'éloignement temporaire d'avec les autres.
Pour se rapprocher de son récit et de ses personnages il faut leur consacrer autant d'attention qu'aux êtres et aux événements de la vie réelle. S'éloigner des autres n'est jamais une désertion, c'est simplement l'engagement que je dois à mes personnages de fiction qui deviennent à cet instant ma réalité du moment.
Le plus difficile sans doute à partager c'est que cette nécessaire solitude momentanée de l'artiste dans son atelier n'est en fait qu'un raccourci qui permet ensuite d'être encore plus près, plus aimante, plus disponible, plus consciente des splendeurs comme des chagrins de la vie réelle, dans ses aspects les plus ordinaires comme les plus joyeux.
voix
J'ai récemment écouté et lu à haute voix, des jours durant, le premier opus, "Une part d'ombre", de la trilogie. J'avais, jusqu'alors, relu d'innombrables fois sur écran. Il m'arrivait, si j'étais seule dans ce temps d'écriture et de correction, de me risquer à faire retentir ma voix au détour d'une phrase, d'un mot, pour en mesurer l'écho. L'enchainement des sons, des vibrations, des souffles d'un livre est pour moi, essentiel. Il m'arrive de ne pas utiliser un mot si sa prononciation est disgracieuse.
Mais là, à cette étape précise de l'écriture, il fallait résolument s'affranchir du virtuel, et confronter le texte à d'autre sens, réels ceux-ci. Dans le silence de la pièce, nous étions deux, nous relayant au fil des jours, au fil des pages. Sans emphase, sans jeu théâtral qui pourrait pallier les faiblesses de certains passages, nous avons laissé simplement, le texte se révéler être (ou pas) au service du récit. Nous sommes devenus des musiciens, à l'oreille absolue blessée par la dissonance d'un mot qui tout à coup surgissait dans sa trivialité, parfois dans sa vacuité, comme une note dans une partition peut paraître inutile ou grossière au compositeur. Nous avons parfois manqué de souffle quand les césures dans une phrase, dans un paragraphe étaient insuffisantes, ou mal placées, ou trop présentes au point que le récit devenait haletant quand il fallait qu'il serpente comme un ruisseau dans la campagne de l'esprit.
La mise en mots à haute voix d'un texte est implacable. Elle en révèle les misères et les générosités.
Camus
Aujourd'hui, je partage avec vous l’idée que se fait Albert Camus de son art et du rôle de l’écrivain.
Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas se séparer ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent apprend bien vite qu’il ne nourrira son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et s’ils ont un parti à prendre en ce monde ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.
écrire dans sa tête
J'aime les aubes silencieuses. Peut-être ce sont elles qui me réveillent si tôt chaque jour, alors que la maison est rendue au silence et à l’immobilité du sommeil de ses habitants, depuis de longues heures déjà, et que l’éveil du jour s’annonce très timidement dans la nuit de la ville.
Une petite voix murmure :"Ce sont les seuls instants où tu t'appartiens un peu. Saisis-les. Saisis-toi."
Il faut du temps et de la solitude pour la pensée, celle qui nourrit la création.
Si je m'éveille avant 5h00, je reste dans l'obscurité, allongée. J'écoute les bruits de la rue : le vent fou, gonflé par la tempête, qui fait battre le rabat de la boite aux lettres, qui fait rouler une canette de soda dans la pente de ma petite rue.
Les talons d'une femme sur le macadam, sans doute pressée de rejoindre l’arrêt du bus qui la conduira vers son ailleurs, qu’elle prenne son train pour rejoindre les siens, qu’elle rentre chez elle après une soirée ou qu’elle rejoigne son lieu de labeur.
Les échanges avinés de fêtard bravant la pesanteur d’un couvre-feu de circonstance.
Les hurlements assourdis par des fenêtres fermées sur la décomposition d’un couple et les pleurs d’un enfant trop tôt réveillé par la terreur.
Le moteur d’un taxi alimenté au diesel, chauffant longuement, au risque d’éveiller les âmes endormies, comme si son propriétaire voulait, chaque matin, dire : moi je travaille.
Ma pensée tourne le bouton d’une radio imaginaire, cherchant au hasard sur les ondes de mon monde de proximité, des bruits de vie. Entre deux échappées auditives, simples prétextes à me raconter des histoires, dans le silence, l’apesanteur du vide nourrit ma pensée.
Alors, je commence un dialogue avec les mots. Et, sans volonté aucune, sans dessin particulier que l’errance légère de ma pensée, des phrases, des paragraphes du livre en écriture, surgissent. Mais aussi, des idées, des personnages, des situations, des décors pour les textes et tomes à venir se manifestent.
Dans cette absence absolue de contraintes et d’attentes, une autre clarté s’impose que celle, codifiée des temps d’écriture à mon bureau. De cette écriture intuitive dans ma tête, parfois ne reste, en apparence, rien, ou peu de choses. En apparence seulement ; des semaines, des mois plus tard, ces traces de création surgissent dans le livre, enrichies du temps de labeur ritualisé.
s'enfuir
Lorsque je marche dans la rue, comme ce matin en route vers mon atelier, il arrive parfois que je sois interpellée, depuis le trottoir d'en face, par un des personnages de mon roman avec lequel j'ai eu la veille quelques échanges.
Alors mes deux mondes, réels et fictions, se mélangent juste pour quelques secondes. Mon regard, ma pensée traversent la mer, la frontière qui semble les séparer. Ils se rencontrent brièvement et s'écartent aussi vite, chacun m'habitant séparément pour le reste du temps.
Alors me revient en mémoire cette pensée de Djalal al-Din Rûmi dans les "odes mystiques" : Dès l'instant où tu vins dans le monde de l'existence, une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir".
cinq sens
Les mots, les phrases, les récits doivent résonner autrement que par la seule âpreté fertile et froide de l’intellect. J’en appelle aux cinq sens pour partir en voyage de l’être, de la pensée, de la conscience aigüe des autres, des événements et du décor, scène théâtrale sur laquelle se jouent les vies de mes personnages. Je reçois d’abord le monde en posant mon regard sur ses multitudes. J’observe. Mon esprit enregistre chaque détail d’un mouvement, d’une ligne, d’une lumière, d’une scène. J’en conserve alors la mémoire visuelle qui nourrit, le moment venu, mes récits. Les décors plantés sont évocations.
Ils répondent, suggèrent, appuient, révèlent les espoirs, les actes, les errances, les chagrins, les éclats de mes personnages, comme des événements qui les contraignent à adapter leur trajectoire. Il m’a récemment été demandé quel est le film qui m’a le plus marqué. J’ai répondu « M le Maudit » et « Citizen Kane ». J’ai ajouté deux scènes dans ce dernier. La première qui m'a marquée « la scène de Rosebud », succession de plans fixes liés par un fondu enchaîné, dont chaque détail me hante, de la lumière au clair obscur, des ombres du château aux éléments de la tempête, de l'immobilité apparente qui met en exergue la fin d'une vie et la solitude de l'homme, jusqu'aux rares gestes, de la main laissant échapper la boule qui se brise à celles de l'infirmière qui rabat le drap sur le corps sans vie dans la lumière du matin. L'autre scène est la dernière. Je me souviens d'un vaste hangar envahi d'objets amassés au fil de la vie de Kane et d'un groupe de personnes, conduit par un "guide",journaliste. Il raconte la destinée de l'homme puissant, mort dans la solitude de l'accumulation vaine de richesses, qui sont ensuite réduites en cendres. En écrivant, je voudrais que mes lecteurs, à partir de simples mots, puissent visualiser ces scènes pour leur précision et ainsi, en percevoir la dimension symbolique. Je ne me lasse pas de regarder le monde. Je m'attache à le voir.
Je tente par les mots de traduire son prodigieux foisonnement.
2016 / 2021
Tout a commencé au milieu de la nuit, le 9 avril 2016. Un texte qui semblait venu de nulle part, s’est imposé, m’a réveillée. Le voyage dans "Une part d’ombre", a commencé ainsi.
Très vite, il m’est apparu évident que ce roman serait le premier tome d’une trilogie. Au fil des cinq années qui ont suivi, j’ai poursuivi le cheminement en écriture même lorsque mon quotidien, mes obligations de vie, m’ont détournée en apparence de cet essentiel là : être au service de l’écriture.
Pendant toutes ces années, j’ai avancé, pas à pas avec constance, détermination, exigence et doutes.
Aux derniers jours, il a fallu un retrait du monde physique et c’est au cœur de la Haute-Marne, dans l’accueillante Maison Laurentine et leurs hôtes généreux, Marie Solange et Pierre, que ce premier voyage a pris fin, après une semaine de résidence d’écriture, à cette table de travail du matin au soir. Ce fut alors la dernière relecture, les dernières corrections et l’écriture de l’épilogue.
Le 9 avril 2021, cinq ans jour pour jour après le début de ce voyage, ce premier tome a pris son envol.
rendez-vous
Le début du deuxième voyage de la trilogie peut commencer à se déployer.
Les notes prises qui ont noirci les pages de mes carnets deviennent matière. Des pistes de recherches s'imposent. Déjà, les personnages imaginés et des situations m’appellent.